MARIE ES-BORRAT

 

RELIANCE 2015

TEXTE DE PAMELA CORVALAN - HISTORIENNE DE L'ART

 

Exposition à Arts Pluriels, Château de Réchy, du 25 avril au 20 juin 2015

 

 

 

Puissante et organique, l’œuvre de Marie Es-Borrat interroge à la fois le rapport de complicité entre les humains et l’introspection expérimentale. Entre matières, couleurs, féminité et contrastes, l’artiste fixe sur ses toiles et photographies sa recherche de l’émotion, nichée au creux de la vie quotidienne. L’exploration commence par de grands paysages abstraits, où des espaces de gris, ocres et noir se confrontent et traduisent la complexité des sentiments ; des couches de tissus et de peinture s’entrelacent – grattées et lissées comme les blessures, vives comme la peur, et pourtant harmonieuses et chaleureuses comme la sagesse et l’espérance. Puis soudainement, l’émotion souterraine éclot sous forme de champs de fleurs nocturnes, dérangeantes de beauté. Tel un feu d’artifice, les couleurs vives et les formes explosent : rouge, noir et bleu, ponctuées de blanc, rose et vert. De ce matériau fertile et fougueux émergent des femmes-fleurs statiques, conciliant l’équilibre entre la profusion végétale et le minimalisme formel. Qu’elle soit toile, photographie ou montage, chacune des œuvres de l’exposition RELIANCE est un véritable palimpseste : le résultat d’une superposition de transparences et de zones d’ombres, d’émotion pure et de couleurs métissées, de simplicité et de paradoxes.

Reliance : tout ce qui crée ou recrée des liens entre les personnes, les lieux et les évènements. Le dialogue et la reliance occupent depuis toujours une place primordiale dans l’expression artistique de Marie Es-Borrat. Elle-même issue du monde de la mode, l’artiste applique son regard généreux mais non moins franc sur son entourage et son environnement. Vivant à la Cité internationale universitaire de Paris dans la Fondation suisse/Pavillon Le Corbusier, lieu propice à l’échange multiculturel, la directrice artistique et peintre passionnée nourrit son travail de la magie de la rencontre spontanée.

 

ART & MODE

Quinze années d’expérience dans la mode (notamment chez Ermenegildo Zegna, et à l’Atelier Du Sartel) ont façonné l’univers de Marie  Es-Borrat. Après une décennie consacrée au prêt-à-porter masculin, la figure féminine devient son terrain de jeu favori. À la fois parallèles et complémentaires, la mode et l’art la poussent à creuser derrière l’image de façade qui fige trop souvent le fashion system. Ainsi, l’artiste fusionne plusieurs niveaux de lecture dans ses photographies, de la même manière qu’elle superpose et cisèle les couches de peinture et de textiles sur ses toiles. Les montages photo illustrent à leur tour cette dialectique entre l’art et la mode, en hommage à des créateurs du XXe siècle, Séraphine de Senlis, Modigliani et Christo.

 

RELIANCE

Dans son œuvre, Marie Es-Borrat nourrit son inspiration par les rencontres et les circonstances : la Suisse et Paris, l’architecture légendaire de Le Corbusier et la vie communautaire, les amitiés naissantes et les coïncidences… tout suscite sa curiosité et attrape son œil, parfois facétieux. Au fil de ces échanges, une expérience commune, une complicité prend forme. En allant au-delà des codes du monde de la mode, l’artiste va rechercher l’émotion dans le naturel de ses modèles non-professionnels : des amies, des voisines, des femmes qui vont refléter une reliance. En résulte une sensation que tout coule de source, simplement.

 

CRÉATION

Marie Es-Borrat : « La peinture est un acte physique. La matière est très importante, parce que je peins avec les mains ; c’est essentiel pour moi de les plonger dans la peinture, dans l’eau, dans les pigments, dans les tissus, puis de sentir quelque chose qui se crée. Je vais prendre des grandes toiles, faire le vide en moi, et laisser sortir spontanément les émotions du moment. Je dis toujours que la toile m’aide beaucoup, le temps et l’endroit où je me trouve également ».

 

Si la peinture est le fruit d’une introspection instinctive, presque violente, la création d’une photographie implique un long mûrissement en amont. En tant que directrice artistique, Marie Es-Borrat observe et s’imprègne de son futur modèle, avec ses particularités et ses aspérités. Parce que son modèle lui transmet quelque chose de spécial, un trait de caractère par exemple, l’artiste imagine et développe une idée puis une mise en scène. Cette recherche accomplie, elle fait appel à un photographe professionnel qui fixe l’image finale lors d’un shooting dont elle orchestre chaque élément : décor, modèle, posture, atmosphère... Là encore, la spontanéité du moment est préservée ; un imprévu peut s’inviter dans la photographie et la rendre encore plus juste.

 

ÉMOTION

En écho avec le minimalisme corbuséen, la vivacité multiculturelle d’une cité universitaire est mise en valeur avec un triptyque de femmes fleuries et des toiles déchaînées. Des émotions à l’état brut sont révélées dans sa série de portraits au fond noir : force, douceur, mystère et réflexion. À l’évidence, toutes ces photographies se répondent entre elles. Au dos d’une Vierge fleurie iranienne pleine de sérénité, une femme nue en lamentation se couvre le visage et bouleverse le spectateur, troublante dans sa posture diagonale parfaite. Certains portraits évoquent la dualité : masculin/féminin, fragilité/force, méditation/détermination, entre profil antique et sensualité puissante. Plus loin, dans sa chute ralentie mais inexorable, une femme s’abandonne totalement. Sa boucle d’oreille noire évoque l’œil du cyclone, l’unique point d’ancrage de l’image. Puis, une autre femme dont le regard inflexible nous questionne, une main théâtrale posée sur son visage qu’elle tient comme un masque. Que va-t-elle nous révéler ? Enfin, dans une alcôve, une femme gracile incarne une âme qui vole, comme si elle accompagnait dans son geste une parente disparue.

  

L’exposition, dans les méandres du Château de Réchy, offre un voyage initiatique au visiteur, qui se laissera porter par sa propre sensibilité. À l’issue de son parcours, il se verra adresser un clin d’œil de l’artiste par une nature morte composée d’une paire de bottes de pluie fleuries. Histoire de rappeler que nous vivons bien dans l’instant présent.

Texte de Pamela Corvalan - historienne de l’art - mars 2015

 

 

TEXTE DE MARGAUX HONEGGER POUR LE JOURNAL DE L'UNIVERSITE DE GENEVE :

Fraîcheur Létale 2015

 

 

© Marie-Es-Borrat, Dialectique en l’art et la mode : Hommage à Séraphine de Senlis, 2010-2014, 50x50 cm et 100x100 cm, photo montage et technique mixte sur toile. Avec la participation des photographes Olivier Lovey et Cédric Raccio

 

MARIE ES-BORRAT

 

Dialectique entre l'art et la mode

Le dialogue entre l’art et la mode est un sujet qui suscite mon intérêt depuis quelques années déjà. Telle ne fut pas ma surprise lorsqu’en septembre dernier, je rencontre Marie Es-Borrat à la Fondation suisse de Paris. Directrice artistique photo, styliste et artiste, cette jeune valaisanne me dit qu’elle a remporté la Résidence à la Fondation suisse / Pavillon Le Corbusier de la Cité Universitaire de Paris, en 2014 pour son dossier portant (justement) sur la dialectique entre l’art et la mode.

 

Dans son travail, Marie Es-Borrat figure cette dialectique grâce à des supports de natures différentes. D’abord, une photo. Celle-ci est imprimée en transparence, et, un nouveau fond est ajouté. Le plus souvent, les photos sélectionnées sont des clichés de femmes, à la composition minimale, et les fonds sont presque toujours fleuris – Marie a travaillé onze ans dans l’univers du prêt à porter de luxe. Ainsi, de leur peau en transparence émerge une tenture fleurie, colorée.

 

Sur la photo sélectionnée, la toile de Séraphine de Senlis, Grappes de raisins (v.1920-1921), est comme tatouée sur le modèle. La photographie de départ a disparu. A travers ses clichés, Marie espère donner une image originale et différente de la femme. De manière métaphorique, Marie considère que chaque femme est composée de fleurs, qui se développent et s’ouvrent en elle. Il ne s’agit donc pas seulement de montrer un visage ou une partie du corps au spectateur, mais plutôt de lui dévoiler quelque chose d’intérieur et d’intime.

 

Le montage est photographié une nouvelle fois, puis exposé à côté d’une toile. Marie cherche à créer un rapprochement entre ces deux supports, composés de matériaux différents. Du point de vue des couleurs, premièrement, mais aussi a niveau de la matière. Si sur la photo, les différentes « strates » intérieures du modèle sont traduites sur un médium plat – la photographie –  le tableau, quant à lui, exhibe sa matière. L’artiste aime à travailler sur la notion de matérialité de l’œuvre. Elle affirme même y trouver quelque chose de vivant, voire de « végétal ». Les couches de peinture se superposent, pour « habiller » le tableau. La mode n’est jamais bien loin… Il est parfois aussi question de gratter la matière, de revenir près de la toile, pour « voir ce qu’il y a derrière ». La démarche est la même que pour la photographie : habiller, déshabiller, dévoiler.

 

En fait, il s’agit précisément de rendre la photographie indissociable de son support pictural et inversement. La matière que l’on sent sur le tableau doit se retrouver sur la photographie. Les matières sont mélangées pour, comme le dit Marie Es-Borrat, donner à l’œuvre un « habit total ».

 

L’artiste est loin d’aller chercher son inspiration dans la photographie de mode statique et stéréotypée. Elle cherche à mettre son modèle dans un état émotionnel, qui l’aidera lors de la création de ses toiles. L’artiste le dit elle-même : « au moment de la mise en scène photographique, je cherche à mettre le modèle dans un état émotionnel profond, lequel me sert de lien lors de la réalisation du tableau. La fusion entre la toile et la photographie est ainsi rythmée par la même émotion ».

 

Marie Es-Borrat s’éloigne du cliché de mode en choisissant certains de ces modèles parmi son entourage. Après les avoir observés plusieurs mois, l’artiste les associe à ses des idées de tableaux et crée une mise en scène à laquelle ils participeront. Son exposition « Contrastes » à la Fondation suisse / Pavillon Le Corbusier au printemps 2014, présentait au public des photographies de résidentes de différentes nationalités de la Cité Internationale Universitaire de Paris.

 

Cette première expérience a poussé l’artiste à poursuivre sa démarche en prolongeant son séjour à Paris, et en travaillant avec d’autres résidentes sur un nouveau projet d’exposition, Reliance.

 

Ce terme suit et complète celui de  « contamination », que Marie utilise pour décrire le lien entre l’art et la mode, mais aussi entre la photographie et la toile, du point de vue émotionnel, matériel et pictural.

 

A voir :

 

Marie Es-Borrat – Reliance

 

Arts pluriels, Château de Réchy

 

Route de Tombec, 2

 

3966 Réchy

 

Du 25 avril 2015 jusqu’au 20 juin 2015

 

Vernissage le 24 avril 2015, de 18h à 21h

 

 

 

2010 Paolo Levi de Turin en Italie - Critique d'art et journaliste

La recherche expressive de Marie Es-Borrat s'exprime suivant des critères de composition et de rigueur, suscitant des émotions et sensations tactiles. L'artiste divise sa toile en d’amples espaces colorés, donnant vie à un subtil jeu de contrastes entre des tonalités de blanc et de noir. Les opposés dialoguent entre eux, se séparent à travers des lignes nettes, se croisent, se dégradent, coulent l'un dans l'autre. Ils accueillent à la fois leur synthèse, le gris, ou laissent de l'espace à des  camaïeux de rouge ou de brun brûlé qui rappellent les couleurs de la terre. 

 

Le trait du peintre découle d'une habilité instinctive, résultat pur, calibré avec attention. Les pigments s'accouplent dans un jeu subtil en se dissolvant, coulant sur la superficie du support. 

 

La superposition entre la matière et le pigment, les dissolutions et les stratifications, les jeux de signes et la profondeur spatiale, créent des contrastes entre l'intuition créative et la lente disparition de l'image, qui apparaît alors comme les sections corrodées de l'usure du temps.

 

L'artiste insère dans ses œuvres des fragments de matières pauvres, qui enrichissent l'œuvre du point de vue matériel. La netteté et l'essentiel sur lesquelles se construit l'architecture de composition rappellent le travail de l'art informel européen. L'expérimentation du peintre offre à l'œuvre des contours profondément subjectifs dans  l'utilisation des paramètres dialectiques construits sur l'approche des blancs et noirs. Elle décrit une réalité raréfiée , impalpable. La recherche picturale de Marie Es-Borrat se fonde sur le procédé d'analyse du monde extérieur, révélé dans la capacité de donner une valeur communicative à différents matériaux. L’artiste trouve ces éléments dans le quotidien et les rend précieux dans une élégance de sublimation artistique et dans une intrigante interprétation d'un ailleurs utopique.

Paolo Levi

 

LA RICERCA ESPRESSIVA di Marie Es-Borrat si esprime seguendo criteri di compostezza e rigore, suscitando emozioni e sensazioni tattili. L'artista divide il quadro in ampie campiture, dando vita a un sottile gioco di contrasti tra i toni del bianco e del nero. Gli opposti dialogano tra loro, si separano tramite linee nette, si intrecciano, si sfumano, colano uno nell'altro accogliendo a volte la loro sintesi, il grigio, o lasciando spazio alle declinazioni di un rosso o di un bruno bruciato che richiamano i colori de la terra. Il tratto della pittrice deriva da una manualità istintuale, pur risultando attentamente calibrato. I pigmenti si affiancano in un sottile gioco di dissolvenze che scivolano sulla superficie del supporto. La sovrapposizione tra la materia e il pigmento, le diluizioni e le stratificazioni, i giocchi segnici e le profondità spaziali, creano contrasti tra l'intuizione creativa e il lento svanire dell'immagine, che sembra a tratti corrosa dal logorio del tempo. L'artista inserisce nelle sue opere frammenti di materiali poveri, che arricchiscono l'opera dal punto di vista materico, richiamando il lavoro dell'Informale europeo, anche per la nettezza e l'essenzialità su cui si costruisce l'architettura compositiva. La sperimentazione della pittrice regala all'opera contorni profondamente suggestivi, e nell'utilizzo di parametri dialettici costruiti sull'accostamento di bianchi e neri, descrive una realtà rarefatta, impalpabile. Alla base della ricerca pittorica di Marie Es-Borrat si pone il processo di analisi e rielaborazione del mondo esterno, svelato nella capacità di dare valore comunicativo ai diversi materiali, reperendoli dalla quotidianità e rendendoli preziosi in un'elegante sublimazione artistica e nell'intrigante artificio interpretativo di un altrove utopico.

Paolo Levi

 

2010 Virgilio Patarini de Milan en Italie - Artiste et galeriste

 

Swiss Landscape, ainsi s'intitule la grande partie des œuvres de Marie Es-Borrat. Mais oubliez les montagnes enneigées ou les vertes vallées, parce que je ne suis pas certain que ce soit la vision à laquelle la jeune artiste de Suisse romande fait allusion, même si la verticalité de la toile est taillée, le long de la section d'or, d'une lignée de  démarcation qui pourrait suggérer un haut horizon. 

 

Mais quelle sorte de Suisse est celle que nous raconte Es-Borrat? Si nous voulions  traduire les signes, les espaces chromatiques, les stratifications de matériaux que Marie utilise pour imaginer ses compositions tactiles-visuelles….si nous voulions traduire tout cela dans un paysage, si nous voulions lire tout cela comme un résumé visuel, comme une transposition "figurative" de quelque chose de réellement existant, alors ce qui se déploierait devant nos yeux serait une longue suite de plateaux arides rocheux ou de plates étendues enneigées. Si c'est la Suisse que nous décrit Es-Borrat, elle ressemblerait à la friche glaciale et un endroit merveilleux de l'Antarctique. 

Il est évident alors que la jeune artiste nous raconte quelque chose de différent: pas de paysages réels, mais des paysages de l'âme, sondés avec une grande rigueur  dans le choix des équilibres de composition et de la gamme chromatique, souvent réduite à l'essentiel d'un blanc et noir paradoxalement riche de chaleur et de couleurs, et une subtile utilisation des matériaux, dans leur approche et dans leur juxtaposition. Qui admire ses œuvres doit reconnaitre sa capacité de surprendre à chaque fois, sans jamais rien faire d'éclatant, sans apparences forcées. Avec une douceur troublante, une audacieuse légèreté, une élégance de pensée, une élaboration intellectuelle et émotive, mais aussi une touche, une pratique picturale, une exécution artisanale.

Virgilio Patarini

 

 

SWISS LANDSCAPE, ovvero Paesaggio svizzero, così si intitola la gran parte delle opere di Marie Es-Borrat. Ma scordatevi montagne innevate o verdi vallate, poiché non sono certo queste le "vedute" a cui la giovane artista della svizzera francese allude, anche se spesso la verticalità del quadro è tagliata, lungo la sezione aurea, da una linea di demarcazione che potrebbe suggerire un alto orizzonte. Ma che razza di svizzera è quella che ci racconta la Es-Borrat ? Se volessimo tradurre i segni, la campiture cromatiche, le stratificazioni di materiali che Marie utilizza per impaginare le sue composizioni tattili-visive… se volessimo tradurre tutto ciò in "paesaggi", se volessimo leggere tutto ciò come resoconto "visivo", come trasposizione "icastica" di qualcosa di realmente esistente, allora quella che si dispiegherebbe davanti ai nostri occhi sarebbe una lunga teoria di brulli altipiani rocciosi o piatte distese innevate. E la Svizzera ci descrive la Es-Borrat parrebbe tanto assomigliare alle algide distese desolate e al tempo stesso meravigliose dell'Antartide. E evidente allora che la giovane pittrice ci racconta qualcosa di diverso: non paesaggi reali, ma paesaggi dell'anima, scandagliati con grande rigore nella scelta degli equilibri compositivi e della gamma cromatica, spesso ridotta all'essenzialità di un bianco e nero paradossalmente ricco di calore, e sottilissima sensibilità nell'utilizzo dei materiali, nel loro accostamento , nella loro giustapposizione. E poi non può balenare agli occhi di chi ammira le sue opere la sua capacità di sorprendere ogni volta, senza mai fare nulla di eclatante, senza apparenti forzature: con garbo spiazzante, con ardita leggerezza, e con "eleganza" di pensiero, di elaborazione intellettuale ed emotiva, ma anche di mano, di pratica, pittorica, artigianale esecuzione.

Virgilio Patarini